Le 24 août 2021, la loi n°2021-1109 confortant le respect des principes de la République (ci-après « la loi séparatisme ») a été adoptée. Par cette loi, le Gouvernement a entendu répondre au phénomène de « séparatisme », auquel la France est confrontée. Ses dispositions visent, dans différents domaines (tels que la protection des fonctionnaires, l’organisation des services publics, ou encore le contrôle des associations culturelles) à renforcer certains principes essentiels de la République, au rang desquels la laïcité, la neutralité des services publics, ou encore l’égalité entre citoyens.
Dirigée contre un certain fondamentalisme religieux, cette loi emporte pourtant des conséquences fâcheuses en droit des successions internationales.
1. La loi n°2021-1109 : la réponse du Gouvernement à la montée du fondamentalisme
Elle aussi adoptée, en plein été, selon un processus législatif beaucoup trop bref, la loi séparatisme modifie profondément le droit applicable, dans des domaines variés de la vie en société.
Par exemple, la loi :
- Renforce le régime de protection accordé à certains fonctionnaires et autres personnes participant à l’exécution d’une mission de service public ;
- Consacre des obligations et contrôles nouveaux visant à renforcer la neutralité des services publics ;
- Oblige les associations et fondations sollicitant l’octroi d’une subvention publique à s’engager, par la souscription d’un contrat d’engagement républicain, à respecter certains principes essentiels de la République ;
- Interdit fermement les « certificats de virginité » en France et assortit cette interdiction de sanctions pénales lourdes ;
- Autorise les officiers publics à mettre en œuvre des moyens de contrôle supplémentaires à l’encontre des mariages forcés ;
- Met en place un régime complexe de lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne ; et
- Renverse le régime légal de l’instruction en famille : transformant un droit, jusqu’alors assorti d’une simple obligation déclarative, en une exception, nécessitant désormais l’obtention d’une autorisation administrative préalable.
Louables pour certains, critiquables pour d’autres, ces différents aspects présentent indéniablement une certaine cohérence. La loi séparatisme constitue la réponse du Gouvernement à l’influence du fondamentalisme religieux dans certains territoires.
L’article 24 de la loi (inséré sous le Chapitre III « Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes » du Titre Ier) fait exception à cette cohérence générale. Pour cause, ses dispositions relèvent du droit international privé et s’appliquent à la réserve héréditaire. Or, c’est peu dire qu’elles risquent de causer une insécurité juridique préjudiciable, pour de nombreuses personnes, pourtant parfaitement respectueuses des principes républicains…
2. La réserve héréditaire, qu’est-ce que c’est ?
La réserve héréditaire se définit comme :
la « portion de succession réservée par la loi à certains héritiers (réservataires) en ce que, par opposition à la quotité disponible, elle ne peut, à peine de réduction, être entamée par des libéralités que le défunt aurait consenties au détriment des réservataires ».
Vocabulaire juridique, G. Cornu, Association Henri Capitant, Puf, 9ème édition Quadrige 2011, p. 903
Il s’agit donc d’une fraction de la succession, dont la loi organise impérativement la dévolution au profit des héritiers, qui en sont les bénéficiaires, sans possibilité, pour le de cujus, d’en disposer autrement. La réserve héréditaire constitue ainsi une limite à la liberté de disposition, à titre gratuit, d’un patrimoine.
En droit français, la masse successorale se compose par conséquent : d’une part de la quotité disponible (dont le de cujus peut librement organiser la transmission) ; et, d’autre part, de la réserve héréditaire (que la loi attribue obligatoirement à certains ayants-droits, dans un objectif de protection patrimoniale) :
« La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.
La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».
Code civil, art. 912
Concrètement, ce sont les articles 913 et 914 du Code civil qui précisent l’étendue de la réserve héréditaire :
- La moitié des biens lorsqu’il ne laisse qu’un enfant (ou descendant) à son décès ;
- Les deux tiers lorsqu’il en laisse deux ; et
- Les trois quarts lorsqu’il en laisse trois ou un plus grand nombre.
Ainsi, la quotité disponible du de cujus, lorsqu’il a des enfants ou descendants, est en principe comprise entre la moitié et le quart de ses biens. Réciproquement, il ne pourra disposer librement que de la moitié de ses biens au maximum.
Lorsque le de cujus ne laisse aucun enfant ou descendant, mais un(e) époux(se) non-divorcé(e), les libéralités consenties ne peuvent excéder les trois quarts du patrimoine. La réserve héréditaire du conjoint s’élève ainsi au quart de la masse successorale.
La réserve héréditaire puise ses fondements à la fois dans la nature même de la propriété, qui est de se transmettre ; mais aussi dans une certaine morale, protectrice de la cohésion familiale. Dans cette dernière acceptation, le patrimoine du de cujus, n’est pas seulement privé : il est également familial. Aussi, ne peut-il être entièrement distribué au mépris des objectifs de protection et de continuité de la famille qui lui survit.
« Il n’y a pas moins de différence entre le droit qu’a tout homme de disposer de sa fortune pendant sa vie et celui d’en disposer après sa mort, qu’il n’y en a entre la vie et la mort elle-même ».
Mirabeau, in Discours sur l’égalité des partages dans les successions en ligne directe, prononcé le 2 avril 1791, Revue de droit de l’association Henri Capitant, n°7, 2014, La réserve héréditaire, p.13
3. La réserve héréditaire : un concept franco-français ?
La réserve héréditaire est-elle une exception française ? La France est-elle le seul pays à protéger de la sorte les ayants droits de la volonté du de cujus de les déshériter ?
Non. Au contraire, de nombreux pays de tradition civiliste appliquent un régime comparable. Ainsi, par exemple, de la Belgique, de l’Allemagne, ou encore de l’Espagne.
C’est même le cas de l’Ecosse (qui fait pourtant partie du Royaume-Uni) !
Ce mécanisme contraste fortement avec la conception anglo-saxonne de la transmission successorale. Dans la plupart de ces pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie…), le patrimoine est envisagé sous un angle plus individualiste et pragmatique. Contrairement à Mirabeau, ces pays n’attribuent pas à la mort une telle influence sur le droit de disposer de ses biens : au contraire, c’est le principe de la « freedom of disposition » qui règne.
Dans l’esprit anglo-saxon, il est normal d’organiser sa succession au bénéfice de l’enfant qui s’est montré le plus diligent et attentionné dans les dernières années précédant le trépas. Il n’est pas choquant de déshériter celui qui a coupé les liens familiaux.
Une part minimale de la succession peut tout de même être accordée par les tribunaux aux enfants dans le besoin.
4. La liberté consacrée par le Règlement européen du 4 juillet 2012
Le 17 août 2015, le Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (ci-après « le Règlement européen ») est entré en vigueur.
Outil d’harmonisation efficace, ce Règlement (à l’instar de ceux applicables à la détermination des juridictions compétentes ou de la loi applicable) compte parmi les grandes réussites de l’Union en matière de droit international privé.
Pour résumer, ce Règlement :
- Sécurise la situation juridique des bénéficiaires d’une succession internationale (en évitant que des décisions contradictoires soient prononcées entre les Etats parties) ;
- Règle les conflits de loi et de juridiction qui peuvent naître au sujet des successions internationales (en introduisant la notion de loi unique applicable à l’ensemble de la succession, notamment par la suppression de la scission entre biens mobiliers et immobiliers) ;
- Introduit le certificat successoral européen (un instrument unique, dont la valeur est reconnue dans chaque Etat partie, pour faire valoir ses droits ou pouvoirs d’héritier, de légataire, d’exécuteur testamentaire ou d’administrateur de la succession) ; et
- S’applique dans tous les Etats membres, à l’exception de l’Irlande et du Danemark (deux pays qui choisissent généralement, principalement pour des raisons de compatibilité avec leurs normes internes, de ne pas se voir appliquer les règlements de droit international privé).
Conscient de la diversité des conceptions nationales, quant à la disposition du patrimoine successoral, le législateur européen a consacré une liberté de choix en la matière. Ainsi, en vertu de l’article 22 :
« une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’Etat dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ».
Or, au cas où le de cujus fait ce choix, la loi régit à peu près toute la succession, et notamment :
- « La vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts respectives et des charges qui peuvent leur être imposées par le défunt, ainsi que la détermination d’autres droits sur la succession, y compris les droits successoraux du conjoint ou du partenaire survivant » ;
- « L’exhérédation et l’indignité successorale » ;
- « Le transfert des biens, des droits et des obligations composant la succession aux héritiers et, selon le cas, aux légataires, y compris les conditions et les effets de l’acceptation de la succession ou du legs ou de la renonciation à ceux-ci » ;
- « la quotité disponible, les réserves héréditaires et les autres restrictions à la liberté de disposer à cause de mort ainsi que les droits que les personnes proches du défunt peuvent faire valoir à l’égard de la succession des héritiers » ;
- « le rapport et la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents bénéficiaires »; et
- « le partage successoral ».
Grâce à ce Règlement, de nombreux expatriés britanniques avaient choisi, sur les conseils de leur notaire, la loi anglaise pour régler leur succession. Bien qu’installés aux pieds d’un château dordognais, ils étaient assurés que leur succession serait régie par les lois de Westminster :
« Farewell, réserve héréditaire ».
5. La réforme de la réserve héréditaire : une grande source d’insécurité juridique pour les expatriés anglo-saxons
Or, c’est bien de cette réserve héréditaire que traite l’article 24 de la loi séparatisme. Celui-ci vise à garantir que la réserve s’applique dans les situations internationales, nonobstant l’applicabilité d’un droit étranger à la succession qui ne protègerait pas les descendants.
La protection s’opère via un nouveau « prélèvement compensatoire » :
L’article 913 [du Code civil] est complété par un alinéa ainsi rédigé :
Loi séparatisme, art. 24
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. »
C’est pourquoi nous disions que cet article fait exception à la cohérence d’ensemble de la loi séparatisme.
En effet, s’il est indéniable que la polygamie, ou encore les « certificats de virginité » portent atteinte aux valeurs républicaines, le choix d’une loi successorale étrangère, autorisant le de cujus à organiser librement sa succession internationale (par exemple la loi anglaise), ne constitue certainement pas un tel affront!
Sans doute n’était-ce pas ce type de situation que le législateur avait en tête, au moment d’adopter l’article 24. Il semble effectivement que la réserve héréditaire ait été protégée de la sorte dans un objectif de protection des femmes, qui se trouvaient lésées par l’application de règles de droit islamique.
N’en déplaise, ce seront pourtant de nombreuses successions internationales qui seront affectées par la réforme, au-delà des seules situations envisagées par le Ministre de l’Intérieur. Voilà sans doute ce qui arrive lorsque l’on adopte systématiquement des lois majeures selon la procédure accélérée…
En tout état de cause, notons qu’un droit de prélèvement comparable existait auparavant, qui s’appliquait, lui aussi, lorsqu’une loi étrangère ne connaissait pas la réserve héréditaire. Ce droit de prélèvement avait néanmoins été invalidé par une décision du Conseil Constitutionnel du 5 août 2011, au motif que ce mécanisme était contraire au principe d’égalité devant la loi. Il conduisait, selon le Conseil, à une discrimination entre héritiers de nationalité française et étrangère.
Quel revirement, à peine 10 ans après (même si le mécanisme critiqué n’est pas tout à fait le même, puisque le critère est désormais la situation géographique et non la nationalité) !
6. Les conséquences concrètes de la loi séparatisme pour les successions internationales ouvertes à compter du 1er novembre 2021
6.1. Application ratione temporis
Le nouveau mécanisme de l’article 24 s’applique à toutes les successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021. La date du testament n’a aucune incidence : seule la date du décès compte.
Prenons ainsi l’exemple d’un testament signé en 2016 et soumis au droit anglais. Dès lors que le décès de son signataire interviendra postérieurement au 1er novembre 2021, les dispositions du nouvel alinéa de l’article 913 du Code civil lui seront applicables (rétroactivement, donc !).
6.2. Application ratione materiae
Sont concernées les successions dans lesquelles :
- Le défunt ou un de ses enfants est ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (ils ne sont donc pas forcément ressortissants français) au moment du décès ; et
- La loi étrangère applicable à la succession dans le cadre du Règlement Européen ignore la réserve héréditaire des enfants.
Lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies, les enfants du défunt, ses héritiers ou ayants cause, peuvent exercer un prélèvement sur les biens situés en France au jour du décès, pour reconstituer la réserve à laquelle ils auraient droit en application de la loi Française. En conséquence, seuls les biens situés en France au jour du décès pourront faire l’objet d’un prélèvement.
En revanche, si le défunt ou l’un des enfants réside en France (ou un autre pays de l’Union européenne) mais qu’il n’y a aucun bien en France, le droit de prélèvement ne pourra s’exercer.
6.3. Modalités d’application
Lorsqu’une succession internationale entre dans le champ d’application décrit ci-dessus, le notaire chargé de la succession doit respecter l’obligation mise à sa charge par le nouvel alinéa de l’article 921 du Code civil :
« Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible »
Nouvel alinéa 2 de l’article 921 du Code civil
Ceci va nécessairement engendrer des délais supplémentaires. Le notaire devra rechercher les éventuels héritiers qui auraient coupé les ponts avec leurs parents. Des recherches généalogiques devront même parfois être réalisées, lesquelles ont un coût.
6.4. Exemples d’application
Imaginons un ressortissant britannique dont la résidence principale est située en France. Il possède des biens à la fois en France et au Royaume-Uni. Il a établi un testament, en 2018, dans lequel il a librement choisi la loi anglaise pour régir l’ensemble de sa succession, et par lequel il a légué tous ses biens à sa seconde épouse. Les enfants, issus du premier mariage ont tous leur résidence principale au Royaume Uni. Voilà vingt ans qu’ils n’ont pas adressé la parole à leur père. C’est pourquoi ce dernier les avait déshérités (en application de la freedom of disposition définie ci-avant). Le de cujus décède le 15 novembre 2021. Grâce à la loi séparatisme, les enfants déshérités seront en droit d’exercer un prélèvement sur l’ensemble des biens situés en France, afin de reconstituer la part de l’héritage qui leur eût été réservée par la loi française.
Imaginons maintenant la situation d’un résident britannique, dont la résidence principale est située en Angleterre. Celui-ci dispose d’une résidence secondaire en Dordogne, où il se rend plusieurs fois par an. Tous ses enfants vivent, travaillent et demeurent en Angleterre. Dans ce cas de figure, les enfants déshérités ne pourront faire valoir aucun droit à prélèvement. En effet, ni le défunt, ni les héritiers ne sont ressortissants, ni résidents d’un Etat membre de l’Union européenne.
6.5. Difficultés d’application et questions non-résolues
A la lecture du texte, de nombreuses questions restent en suspens :
- Sur quelle masse sera calculée la réserve ? Uniquement les biens situés en France, ou tous les biens, où qu’ils se situent ?
- Pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible, devra-t-on réincorporer les donations consenties par le défunt de son vivant de biens situés en France (le texte évoque « les biens existants au jour du décès », mais cela va à l’encontre des règles normales de calcul de la réserve) ?
- Concernant les biens immatériels, comment va-t-on déterminer leur situation géographique ? Prenons l’exemple d’une société, dont le siège est à l’étranger, propriétaire d’un immeuble en France : où se « situent » les parts sociales ?
Les praticiens attendent avec impatience des précisions quant aux modalités d’applications de la réforme. En attendant, l’insécurité juridique est forte !
7. La réforme de la réserve héréditaire : une possible violation du Règlement européen n°650/2012
Comme indiqué ci-dessus, le Règlement européen avait consacré, pour tous les ressortissants de l’Union européenne, la liberté de choisir une loi unique applicable à leur succession.
En vertu des principes dits de l’effet direct et de primauté du droit européen, les Etats membres sont tenus d’appliquer les règlements européens auxquels ils adhèrent. Il leur est donc interdit d’adopter des normes nationales qui porteraient atteinte ou feraient échec aux normes communautaires.
Concernant le libre choix de la loi applicable aux successions internationales, le Règlement européen prévoyait déjà une exception : celle de l’atteinte à l’ordre public :
« l’application d’une disposition de la loi d’un Etat désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for ».
Règlement (UE) n°650/2012, art. 35
Faut-il en déduire que, pour le législateur, la réserve héréditaire relève de l’ordre public international français ?
L’intitulé de la loi séparatisme (« confortant le respect des principes de la République« ), ses objectifs et la nature de ses dispositions, pourraient le laisser penser.
Si l’on étudie l’article 24 en particulier, il semble cependant que le législateur ait consacré une sorte « d’ordre public de proximité ». Effectivement, le mécanisme protecteur ne s’applique qu’aux situations pour lesquels il existe des éléments suffisants de proximité avec la France ou l’Union européenne. Les autres situations peuvent y échapper.
Un tel « ordre public de proximité » ne correspond pas, selon nous, à la notion protégée à l’article 35 du Règlement européen. Rappelons en effet que, dans sa première mouture, la proposition de règlement relatif aux successions internationales précisait, en ce qui était alors son article 27, qu’ :
« En particulier, l’application d’une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public du for au seul motif que ses modalités concernant la réserve héréditaire sont différentes de celles en vigueur dans le for ».
Or, cet alinéa a été supprimé dans la version définitive du texte et l’article 35, qui prévoit l’exception d’ordre public, ne fait plus aucune référence à la réserve.
Enfin, la réforme de la réserve héréditaire risque de créer de nouvelles scissions de loi applicable. Pour cause, ce n’est pas le choix de loi en lui-même auquel il est fait obstacle, mais bien l’effet que ce choix peut avoir sur la réserve héréditaire des enfants. Ainsi, le choix de la loi anglaise, opéré par un britannique demeurant en France (ou n’importe quel autre pays de l’UE) et y possédant des biens, restera valable. En revanche, sa mise en œuvre concrète sera mise à mal par l’application de l’article 913 nouveau du Code Civil. Les biens, situés en France et intégrant la réserve héréditaire, seront régis par la loi française ; les autres par la loi britannique…
En définitive, la réforme complexifie… ce que le Règlement européen unifiait !
L’article 24 de la loi séparatisme semble donc, à plus d’un titre, incompatible avec les dispositions du Règlement européen. La Commission Européenne a d’ores-et-déjà été saisie de cette question. En attendant qu’elle s’exprime, les successions ouvertes depuis le 1er novembre 2021, sont incontestablement menacées.
8. La protection renforcée de la réserve héréditaire : une réforme à rebours de la jurisprudence récente de la Cour de cassation
Outre cette possible violation du droit communautaire, la réforme de la réserve héréditaire semble aller à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation.
A l’occasion de l’affaire « Jarre« , la Haute juridiction avait clairement établi que la réserve héréditaire n’intégrait pas l’ordre public français invocable dans les situations internationales.
Dans cette affaire, le père d’un compositeur célèbre, ayant vécu aux Etats-Unis plus de quarante ans, était décédé en 2009 en Californie. Il avait auparavant institué son épouse légataire universel et bénéficiaire d’un trust. Sa succession portait sur de nombreux biens situés en France. Ses enfants ont donc contesté la succession, arguant que la réserve héréditaire était d’ordre public.
La Cour d’appel de Paris avait rejeté leur demande au motif que si « la réserve est un principe ancien mais aussi un principe actuel et important dans la société française en ce qu’elle exprime la solidarité familiale », elle n’est pas transposable dans l’ordre public international car elle ne constitue pas « un principe essentiel de ce droit […] qui imposerait qu’elle soit protégée par l’ordre public international français ».
Ceci avait été exactement confirmé par la Cour de cassation, dans son arrêt du 27 septembre 2017 :
« Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »
A considérer que la loi séparatisme aie consacré la réserve héréditaire au rang des principes juridiques d’ordre public opposables dans l’ordre international, elle opèrerait ainsi un remarquable renversement du droit positif.
Conclusions générales
Pour ceux qui ont établi un testament international dans le cadre du Règlement européen du 4 juillet 2012, il semble urgent de consulter un juriste compétent en Droit International Privé, afin d’adapter le testament à la nouvelle législation.
A minima, il conviendra sans doute de veiller, pour les biens situés en France, à protéger le conjoint survivant et, si le testateur le souhaite, à avantager un ou plusieurs enfants, dans les limites de la quotité disponible. Le tout de façon à « limiter les dégâts » et ne pas se retrouver avec un testament qui ne produirait plus du tout l’effet escompté.
Les notion de résidence habituelle et de situation géographique des biens (notamment immatériels) sont à creuser. Les situations internationales étant variées, il est néanmoins difficile, à ce stade, de donner une solution définitive, tant que les questions évoquées ci-dessus resteront en suspens.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Madame Marie-Claude Bessout, ancienne Notaire, titulaire du DU de droit notarial international de l’Université Lyon III, et trésorière du Franco British Network.