Le pacte d’associés : est-il vraiment incontournable ?

Lorsque plusieurs associés se regroupent et créent une société, les statuts constituent le premier outil juridique par lequel ils encadrent leurs relations. Dès les prémices de leur aventure entrepreneuriale, il leur est toutefois souvent conseillé de conclure un second acte : le pacte d’associés (ou “pacte d’actionnaires”, dans certaines sociétés, ou encore “pacte extra-statutaire”).

La nécessité de conclure un tel pacte mérite pourtant d’être interrogée.

Dans quelles circonstances est-il véritablement recommandé de recourir au pacte ? Quand, au contraire, peut-on se contenter des statuts ? Quelles sont les vertus du pacte ? Quelles sont ses faiblesses ?

Comme nous le verrons, le pacte peut s’avérer très utile (1) ; pour autant, il serait faux d’affirmer qu’il est toujours indispensable (2).

1. Les cas où le pacte d’associés est utile

Le pacte d’associés est particulièrement utile pour préserver la confidentialité des relations internes à la société. Il offre en outre une flexibilité contractuelle appréciable et permet d’anticiper au mieux les transmissions d’entreprises. 

1.1.      La confidentialité du pacte d’associés

Le pacte d’associés présente un avantage indéniable : il est confidentiel. Pour cause, sauf exception (notamment concernant les sociétés cotées), le pacte n’est jamais publié.

Si la confidentialité est importante pour les associés, le pacte leur sera donc très utile. Il leur permettra de compléter les statuts (qui, eux, sont systématiquement publiés par le Greffe des tribunaux de commerce), par des mécanismes spécifiquement adaptés au rôle que chacun occupe, au sein de la structure.

A titre d’exemple, les mécanismes suivants (très utilisés dans la pratique), seront couverts par cette précieuse confidentialité :

  • un droit de préemption spécialement réservé à certains associés ;
  • un droit préférentiel à la souscription d’actions ; ou encore
  • un projet de développement commercial, détaillé de manière confidentielle dans le pacte…

1.2.      La flexibilité contractuelle du pacte d’associés

Le pacte d’associés offre une plus grande liberté rédactionnelle que les statuts. Ceci à plus d’un titre.

1.2.1.    La liberté des rédacteurs du pacte, quant à son contenu

En droit français, la société est à la fois perçue comme :

  • une institution qui, de ce fait, répond à certaines règles légales régulant son mode de fonctionnement (fermement édictées par le Code Civil et le Code de Commerce) ; et
  • un contrat de droit privé, ce qui permet aux fondateurs de convenir librement de leurs engagements réciproques.

Le caractère institutionnel se concrétise par des restrictions à la liberté rédactionnelle des fondateurs. Ces derniers doivent ainsi se plier aux normes impératives, qui imposent un certain contenu pour les statuts. 

A contrario, le pacte d’associés est un simple contrat de droit privé. Il échappe ainsi, en grande partie, à la dimension institutionnelle précitée.

De ce fait, le pacte bénéficie d’un principe majeur du droit des obligations : la liberté contractuelle (article 1102 du Code Civil). Les associés peuvent donc librement y choisir les droits et obligations auxquels ils se soumettent réciproquement. Seule limite à cette liberté : l’ordre public[1] (articles 1102 et 1162 du Code Civil).

Par exemple, les clauses suivantes peuvent être insérées dans un pacte d’associés, en dérogeant à la lettre des prévisions légales :

  • une convention de vote entre associés ; ou encore
  • un droit de veto pour certaines décisions, au bénéfice d’un ou plusieurs associés.

1.2.2.    La liberté des rédacteurs du pacte, quant à son champ d’application

Les statuts (véritable règlement à caractère institutionnel, donc) s’appliquent à l’ensemble des associés.

Par contraste, les pactes d’associés ne s’appliquent qu’aux parties qui y ont adhéré. De plus, il est possible de prévoir, au sein du pacte, que certaines stipulations ne s’appliqueront qu’à certains associés, mais pas aux autres. Ainsi, même au cas où tous les associés adhérent au pacte, une convention de vote, ou encore un droit de préemption particuliers, peuvent n’être contraignants qu’à l’égard de certains associés nommés.

Le pacte autorise donc une organisation des pouvoirs à géométrie variable.

1.3.      L’intérêt du pacte d’associés dans le cadre d’une transmission d’entreprise

Quand vient le temps de transmettre son entreprise familiale par donation ou succession, le chef d’entreprise dispose d’un outil fiscal intéressant, lui permettant de réduire significativement les droits de mutation : le pacte Dutreil.

Pour faire simple, cette opération permet de réduire significativement les droits de mutation payables par les donataires ou successeurs grâce à un abattement de 75% de la valeur des titres cédés.

Pour en bénéficier, il est nécessaire de réunir trois conditions principales :

  • en amont de la transmission, un engagement collectif doit être pris avec les héritiers, donataires ou légataires, de conserver personnellement leurs titres pour une durée minimale de deux ans ; et
  • au moment de la transmission, chaque héritier, donataire ou légataire doit s’engager individuellement à conserver les titres transmis, pour une durée minimale de quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif ;
  • l’un des signataires de l’engagement collectif, héritier, donataire ou légataire, devra exercer une fonction de direction dans l’entreprise cédée, pendant toute la durée de l’engagement collectif et les trois années qui suivent la transmission.

Or, le pacte d’associés est le document privilégié pour planifier un pacte Dutreil. Le pacte permettra de fixer à la fois l’engagement collectif des associés, les engagements individuels des successeurs et l’engagement de celui qui exercera les fonctions de direction requises. Il permettra en outre d’aménager les conditions de gestion de la société, en prévision de la future répartition du capital.

2. Les cas où les statuts suffisent

Comme nous l’avons vu, le pacte d’associés est un outil remarquablement utile dans certaines situations. En dehors de ces situations spécifiques, les statuts peuvent amplement suffire. 

2.1. Le champ d’application du pacte est moins étendu que celui des statuts

Gardons tout d’abord à l’esprit que les statuts ont un champ d’application plus étendu que le pacte d’associés. Effectivement, les statuts s’appliquent à tous les organes internes de la société (associés, mandataires sociaux, délégués de pouvoir, etc.), même non-signataires !

Ceci contraste avec le pacte d’associés, qui n’est opposable qu’à ses signataires ; aucun tiers n’étant en principe tenu au respect de ses clauses.

Le champ d’application étendu des statuts est à même d’assurer une exécution plus efficace de ses stipulations à l’égard de tous les membres de la société.

2.2. Les sanctions applicables aux violations des statuts sont plus fortes

Imprégnés de cette dimension institutionnelle abordée supra, les statuts sont en principe plus contraignants que le pacte d’associés.

Par suite, certaines décisions, prises en violation des statuts, sont susceptibles d’être annulées.

Cette sanction, particulièrement grave et dissuasive, n’est, certes, pas généralisable à tous les types de décisions. Elle s’applique néanmoins dans les cas de figure suivants  :

En outre, toute violation des statuts est susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur :

  • C’est le cas de l’associé qui agirait en contradiction avec les dispositions statutaires ;
  • C’est également le cas du mandataire social, envers les associés et la société (qui est, de surcroît, susceptible de révocation) ;
  • En outre, certains engagements contractuels statutaires permettent de demander l’annulation d’un acte contraire. Ceci concerne les promesses de vente et pactes de préférence, puisque le Code Civil prévoit que la cession à un tiers effectuée en violation de ces engagements peut être annulée si, et seulement si, le tiers cessionnaire est de mauvaise foi (articles 1123 et 1124 du Code Civil).

A contrario, la sanction applicable, en cas de décision sociale contraire aux stipulations du pacte n’est pas la nullité (sauf exceptions visées ci-dessus aux articles 1123 et 1124 du Code Civil) !

La seule sanction per se sera l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur (articles 1231 et suivants du Code Civil). Il peut également y avoir lieu à exécution forcée (article 1221 du Code Civil).

2.3. Certains pactes complexifient à l’excès la répartition des pouvoirs

Ajoutons que les pactes d’associés complexifient parfois à outrance la répartition des pouvoirs entres associés.

C’est notamment le cas de conventions de vote, peu judicieuses, mais pourtant régulièrement rencontrées, qui sont contraires aux provisions légales et statutaires. De telles conventions nécessitent une coordination minutieuse du pacte avec les statuts, d’autant qu’elles risquent d’être annulées pour contravention aux règles d’ordre public qui encadrent la manière dont les décisions doivent être prises.

L’avantage de la liberté rédactionnelle du pacte (pointée ci-dessus au point 1.2.2.) n’est d’ailleurs souvent qu’illusoire dans le cas d’une SAS. En effet, ce type de société bénéficie déjà d’une très grande souplesse de gestion et de structuration. Ceci dès le stade de la rédaction des statuts constitutifs. Rappelons, en effet, que le Code de commerce prévoit, à cet égard, que les statuts de la SAS “(…) fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée” et “(…) déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient”.  

Conclusions sur le caractère incontournable, ou non, du pacte d’associés

Selon nous, il ne faut pas tomber dans le piège de l’automatisme. Rédiger un pacte d’associés est surtout utile lorsque les associés souhaitent être protégés par la confidentialité, ou s’émanciper de certaines règles strictes fixées par la loi et les statuts dans les sociétés. Lorsque tel n’est pas le cas, les statuts sont bien souvent suffisants. Il se peut même qu’ils offrent une efficacité, et donc un degré de protection juridique, accrus.

L’encadrement de la relation des associés étant, la plupart du temps, particulièrement complexe, il est chaudement recommandé de se faire assister de juristes compétents en la matière. Une rédaction minutieuse des statuts de votre société, en prenant en compte les objectifs à court, moyen et long terme des fondateurs est cruciale. Ce document central, qui conditionne toute la vie de la société, mérite effectivement la plus grande attention. Nous répondrons à toutes vos questions relatives à l’opportunité de conclure un pacte d’associés ou de modifier les statuts de votre société.


[1] Les normes considérées par le juge ou le législateur comme étant trop fondamentales au sein de notre société pour souffrir une altération ou une exception contractuelle.

Théo J. Le Flohic

Collaborateur – Citizen Avocats

Master en droit des affaires – DJCE – Elève avocat

            

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