Le contrat de bail commercial est bien connu. Pour faire simple, il s’agit de la convention par laquelle un propriétaire loue son local à une entreprise, afin que celle-ci y exploite un fonds de commerce, artisanal ou industriel. Le bail commercial se distingue donc, notamment, du bail d’habitation (mode d’accès au logement pour les particuliers).
De ce contrat dépendent directement l’existence (domiciliation…), l’activité (exercice concret du commerce ou de l’artisanat…) et donc la rentabilité (accès à une clientèle donnée…) d’une multitude d’entreprises. C’est pourquoi le législateur a progressivement encadré cette relation économique en protégeant spécialement les preneurs.
1°) Le bail commercial : un contrat très protecteur pour les locataires
Parmi ces protections, on trouve bien sûr la durée du bail, qui ne peut être inférieure à 9 ans. Il y a aussi le droit au renouvellement, véritable gage de continuité.
C’est ce caractère protecteur, qui fait dire que le « droit au bail » (le fait, pour une entreprise locataire, d’être titulaire d’un tel contrat) constitue une « propriété commerciale ».
« Propriété », car le droit au bail a une valeur économique intrinsèque. La situation géographique de l’immeuble est plus ou moins avantageuse ; le local est plus ou moins grand ; en plus ou moins bon état… Le preneur peut en outre jouir du local, non seulement pendant la durée du bail initial, mais également pendant toutes les périodes de renouvellement ! C’est pourquoi il peut vendre son droit au bail : par exemple à une entreprise, qui souhaiterait s’installer à sa place, ou dans le cadre d’une cession plus large de son fonds de commerce.
En principe, donc, le bailleur n’a pas le choix : en l’absence de faute de son locataire, le bail doit être renouvelé. La seule façon de retrouver l’usage de son bien est de délivrer un congé et verser une indemnité d’éviction au locataire (Art. L145-14 du Code de commerce). Or, cette indemnité a pour but de réparer le préjudice causé au locataire par le non-renouvellement du bail. Cette indemnité peut être colossale, car elle comprend « la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur […] ».
Dans la pratique, l’indemnité est quasi-systématiquement déterminée par le juge, sur la base d’un rapport d’expertise. On comprend, en effet, la nature conflictuelle des situations où elle est demandée.
Cette « propriété commerciale », dont nous venons de rappeler le corollaire puissant et dissuasif, doit être bien connue des propriétaires. Le risque juridique et financier est bien trop important pour délivrer un congé imprudemment. C’est d’ailleurs l’étendue des droits conférés aux preneurs qui incite légitimement les bailleurs à « blinder » leurs contrats de bail, en exigeant toutes sortes de garanties. Ces derniers insèrent les mécanismes les plus favorables, dans les minces interstices de liberté contractuelle que les réformes n’ont pas encombrés. On pense au « basculement » de charges, au dépôt de garantie, ou encore à diverses sanctions et indemnités…
Est-ce à dire que les bailleurs, en dehors de ces quelques garanties, se dépouillent totalement de leur propriété lorsqu’ils signent un contrat de bail commercial ? Le droit au renouvellement du locataire est-il absolu ? N’existe-t-il pas une « porte de sortie » que les bailleurs peuvent ouvrir, pour chasser leur cocontractant fautif ?
2°) Le refus de renouvellement du bail commercial pour motif grave et légitime
A vrai dire, l’article L. 145-17 du Code de commerce ne retient que deux situations, dans lesquelles le bailleur peut refuser au locataire le renouvellement du bail, sans pour autant lui verser l’indemnité d’éviction. Nous nous intéresserons ici au premier motif, à savoir la justification d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire.
Bien que le « motif grave et légitime » ne soit pas défini par les textes, l’on comprend qu’il s’agit de sanctionner un comportement manifestement fautif du locataire, qui justifie que le bail ne soit pas renouvelé. Les juridictions ne circonscrivent pas ce motif aux manquements au contrat, ni aux infractions au statut des baux commerciaux. Certaines fautes extracontractuelles peuvent aussi bien être retenues comme constitutives d’un « motif grave et légitime ». Il en est ainsi, par exemple, de violences exercées par le locataire à l’encontre du bailleur (Cass. Civ. 3ème, 28 mars 1995 ; Gaz. Pal. 1996 jur, p. 126), ou encore de la commission d’infractions pénales (voir par ex. Cass. Com., 17 février 1965 n°63-10.482 : Bull. civ. III n°131, pour des faits de proxénétisme).
En dehors de ces cas extrêmes, les bailleurs invoquent surtout un défaut d’exécution du bail. Cela concerne en premier lieu les incidents de paiement du loyer (Cass. Civ. 3ème, 16 octobre 2007, n°06-14.789 F-D : RJDA 1/8 n°11 som.). Pour cause, l’obligation, pour le preneur, de payer le loyer dans les termes et conditions convenus, est l’essence même du louage (Art. 1709 du Code civil).
Quel que soit le motif retenu, le bailleur devra soigneusement en évaluer la gravité et la légitimité avec son Conseil. Pour cause, le congé sans offre de renouvellement ni indemnité d’éviction est délaissé à ses risques et périls. Quand bien même le bailleur aurait-il raison, le preneur sera, dans de telles circonstances, particulièrement enclin à contester ce motif devant les juridictions, ne fût-ce que pour retarder l’échéance, ou regagner une marge de manœuvre transactionnelle. La probabilité que le congé fasse l’objet d’un contrôle judiciaire a posteriori est forte.
3°) La mise en demeure emportant congé sans offre de renouvellement
Comme nous l’avons vu, les bailleurs sont fréquemment incités à ne pas renouveler le bail à cause de l’inexécution, par le preneur, de l’une de ses obligations. C’est pourquoi législateur a laissé « une dernière chance » au locataire de corriger la situation. Ainsi, selon le par. 1° de l’article L.145-17 du Code de commerce, « s’il s’agit […] de l’inexécution d’une obligation […], l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser ».
Ce délai d’un mois est ferme, de sorte qu’une régularisation tardive est normalement sans effet sur la décision de ne pas renouveler. Passé ce délai, le non-renouvellement sans indemnité d’éviction est donc acquis, pourvu que le motif invoqué soit effectivement « grave et légitime ». Il appartient seulement au juge de vérifier si l’infraction dénoncée s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après sa dénonciation (Cass. Civ. 3ème, 29 mai 1991, RJDA 8-9/91 n°693).
La mise en demeure visée à l’article L.145-17 est soumise à un double formalisme très important : quant à son contenu d’une part ; et aux modalités de délivrance d’autre part. A peine de nullité, la mise en demeure doit d’abord préciser le motif invoqué par le bailleur et reproduire, mot pour mot, les termes de l’alinéa I. de l’article précité. Elle doit ensuite être effectuée par acte extrajudiciaire, c’est-à-dire délivré par Commissaire de Justice.
Ce n’est que dans de très rares cas, où l’infraction est totalement irréversible ou instantanée, que le bailleur peut se dispenser de cette mise en demeure.
Concrètement, un acte unique, c’est-à-dire une lettre valant, à la fois, mise en demeure et congé sans offre de renouvellement (au cas où le preneur ne régularise pas dans le délai imparti), sera opportunément signifié. Cette option est en effet admise par la jurisprudence (voir par ex. Cass. Civ. 3ème, 24 mars 1999, n°97-16.708, Sté Brasserie des arts c. Roudergues).
Cet acte à la double portée est redoutablement efficace, pourvu qu’il soit minutieusement rédigé. Pour cause, il s’agit à la fois d’une mise en demeure (de régler certaines sommes, de cesser une infraction…) et d’un congé en bonne et due forme (certes conditionnel, mais non mois officiel) du bail commercial. Il doit donc respecter un formalisme exigeant pour produire ses pleins effets.
Pour conclure, dès lors que les conditions suivantes sont réunies :
- La mise en demeure « article L.145-17 » est valide ;
- Elle a été signifiée par un Commissaire de justice ;
- Le motif invoqué est grave et légitime ;
- Le locataire n’a pas régularisé la situation dans le délai ferme d’un mois…
… le congé sans renouvellement est valablement donné et le locataire est privé de toute indemnité d’éviction. Il s’agit donc d’une arme redoutablement efficace, permettant aux bailleurs de sortir du bail commercial.
N’oublions pas, cependant, que comme tout congé de bail commercial, celui-ci ne produira ses effets (fin du contrat) que 6 mois plus tard (Art. L. 145-9 du Code de commerce), soit 7 mois à compter de la signification de la mise en demeure spéciale. Il faut donc s’y prendre suffisamment tôt. Lorsque la mise en demeure est signifiée moins de 7 mois avant l’expiration du bail, celui-ci est temporairement prolongé, selon les règles du droit commun : « à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil » (article précité).
Comme vous l’aurez compris, la loi autorise les bailleurs à ne pas renouveler les baux commerciaux, sans pour autant devoir s’acquitter de la ruineuse indemnité d’éviction, lorsqu’ils justifient d’un motif « grave et légitime« . Cette « porte de sortie » stratégique mérite d’être envisagée à l’approche de l’échéance du bail, lorsque le preneur a été particulièrement fautif. Exerçant le droit commercial tant au stade du conseil que devant les juridictions, nous pourrons envisager, avec vous, l’opportunité d’une telle démarche.